Pourquoi se marie-t-on de plus en plus tardivement en Afrique ?

Pourquoi se marie-t-on de plus en plus tardivement en Afrique ?

Les perspectives du mariage ont bien changé en Afrique. Dans certaines parties du continent africain, on se marie de plus en plus tardivement, pour une raison ou une autre. Moussa Ngom s’est penché sur le sujet dans l’émission Au cœur de l’Actu de BBC Afrique.

Dans plusieurs pays africains, on se marie de moins en moins tôt, surtout dans les grandes villes. Pourquoi les jeunes citadins rechignent-ils à se marier à l’âge où leurs ainés l’étaient déjà ?

Pourquoi préfèrent-ils attendre encore ? Quelles sont les raisons de ce phénomène ? Quel est le rapport avec la vie urbaine ? Quelle incidence sur la démographie ?

Ce sont les questions différents intervenants ont tenté d’apporter des réponses.

Mais d’abord, cap sur Cotonou au Bénin où notre correspondante Rachida Houssou a interrogé plusieurs jeunes hommes et femmes, qui frôlent la trentaine, préfèrent attendre encore pour se marier, pour une raison ou une autre.

Ces jeunes rencontrés dans la capitale béninoise estiment que le mariage n’est pas une préoccupation principale pour eux.

Si pour certains, la priorité est la stabilité financière ou l’indépendance, pour d’autres, il faut réunir certaines conditions préalables comme la maturité, la complémentarité, entre autres.

Selon lui, « les jeunes sont très exigeants sur les qualités de celui ou de celle qu’ils souhaitent avoir comme conjoints ou conjointes. Et donc, cette recherche de l’homme ou de la femme parfaite fait qu’ils repoussent le plus loin leur projet de mariage ».

Il donne un conseil aux jeunes qui ne sont pas encore décidés.

« Comme approche de solution en ce qui concerne la recherche d’une stabilité financière, je dirais aux jeunes qu’ils doivent comprendre qu’une chose est d’avoir des diplômes mais qu’une autre est d’avoir une source de revenus. »

L’institutrice Bouriana Akadiri Daguia a été quand à elle mariée à l’âge de 21 ans.

« Ce n’est pas un retard jusqu’à l’âge de 27 ou 28 ans pour une fille de chercher à se prendre en charge parce que la vie d’aujourd’hui est très différente. »

« On n’a pas besoin d’être forcément sous un toit aussi. Simplement, il faut qu’on cherche à mener une vie saine parce que le hic c’est lorsque vous attendez et que vous évoluez plus loin et que plus tard nous nous disons que la richesse d’un couple, ce sont les enfants », poursuit-elle.

« Une femme qui a des ambitions, explique-t-elle, lorsqu’elle ne veut pas se voir prendre en charge par quelqu’un qui demain sera peut-être un rouleau compresseur pour elle, l’essentiel c’est de pouvoir s’entendre. »

Mais pourquoi en est-il ainsi ?

Pr Anne Calvès, professeure titulaire au département de Sociologie de la Faculté des Arts et des Sciences de l’Université de Montréal, nous explique les facteurs ayant conduit à cette situation.

Les facteurs qui jouent dans le retard des unions en Afrique

Pr Anne Calvès estime que « les facteurs sont multiples et jouent un rôle plus ou moins important, selon les contextes ».

Elle en cite trois dont le premier, est la montée de la scolarisation, notamment la scolarisation des filles et cette scolarisation affecte le mariage de deux manières (la première, elle est mécanique, c’est-à-dire que les filles qui fréquentent l’école sont plus longtemps sur les bancs d’école ; donc elles se marient plus tard. Et la scolarisation affecte aussi le mariage de manière plus indirecte parce qu’elle transmet des valeurs, d’autres valeurs, des attentes différentes vis-à-vis du couple, de la vie conjugale, de la famille).

Le deuxième facteur, dit-elle, « ce sont justement ces transformations d’ordre culturelles, sociales parmi les jeunes générations qui sont transmises par l’école, notamment parmi les citadins et qui sont souvent citées comme des reculs de l’âge au mariage, par exemple l’exposition aux médias occidentaux qui accordent une place plus large au rapport hommes-femmes, une culture populaire mondialisée qui se diffuse auprès des jeunes « .

Mais là, Pr Anne Calvès souligne qu’ »il y a des cas où on observe une individualisation croissante du processus de mise en union ».

Selon elle, le troisième facteur serait plus d’ordre économique.

« Le contexte de chômage, la précarisation de l’emploi qui a caractérisé les pays africains à la fin des années 80 jusqu’à récemment. Alors, on dit augmentation des frais liés au mariage, la dot, l’accès au logement. Le chômage, donc, rend le mariage plus difficile pour les jeunes citadins », explique-t-elle.

Seulement, le phénomène semble bien être lié à la vie urbaine.

Quel est le rapport avec la vie urbaine ?

Démographe et sociologue de formation, par ailleurs spécialiste de l’Afrique, Pr Anne Calvès, dont les travaux portent principalement sur les nouvelles dynamiques en milieu urbain africain répond que le rôle de l’urbanisation est central.

Parce que, dit-elle, tous les travaux de synthèse sur l’âge au premier mariage en Afrique montrent qu’il s’agit d’un phénomène urbain.

« Si je reprends les trois facteurs que j’ai évoqués, c’est-à-dire la scolarisation, les transformations culturelles dans les valeurs, l’individualisation du mariage, etc. les difficultés économiques, eh bien, ces trois facteurs sont clairement des éléments clé de la vie urbaine », explique-t-elle.

Le recul du mariage est-il homogène à travers le continent ?

Pr Anne Calvès souligne qu’il est « effectivement important de commencer par souligner l’hétérogénéité du continent. L’Afrique est plurielle en effet, socialement, culturellement, politiquement, économiquement et donc sans surprise, les transformations socio-démographiques, comme l’évolution de l’âge au mariage, le sont aussi. »

La sociologue révèle que « les études dont on dispose montrent une progression quasi généralisée de l’âge au premier mariage, depuis les années 80, particulièrement en milieu urbain. »

Cependant, poursuit-elle, « elles montrent aussi des disparités régionales importantes parce que pour vous donner un exemple : l’âge dédié au mariage des femmes varie entre 16 ans au Niger, sur les chiffres de 2012, et 31 ans en Afrique du Sud en 2016. Donc, c’est un intervalle qui est très large. »

« Donc, en dehors de ces deux extrêmes, la plupart des âges au premier mariage observés dans les pays subsahariens, dans les années 2010, c’est à peu près entre 18 et 21 ans, pour les femmes et 26-28 ans pour les hommes », explique l’experte en démographie.

« Avec un mariage plus précoce dans les pays d’Afrique de l’Ouest, plus tardif en Afrique australe, et je dirais entre les deux en Afrique de l’Est », affirme-t-elle.

Le mariage n’est-il plus considéré comme une priorité ?

Pr Anne Calvès est formelle.

« Alors, à court terme peut-être moins par exemple par rapport aux études ou à l’emploi mais à long terme, définitivement, ça reste une priorité. »

Elle estime que quelque soit le moment où il arrive pour la femme ou pour l’homme, c’est la norme.

« En fait, même s’il est retardé, pour les femmes comme pour les hommes, le mariage, c’est la norme. »

« En dehors de cinq pays d’Afrique australe en fait, il est quasiment universel, tous les hommes se marient, toutes les femmes se marient, les célibataires de plus de 40 ans sont très rares sur le continent », affirme-t-elle.

« C’est un marqueur social important de l’entrée en vie adulte. Et pour les femmes, c’est une source essentielle de statut social et de protection économique », poursuit-elle.

« Donc, les jeunes femmes, même les plus scolarisées, pour elles, se marier c’est incontournable encore aujourd’hui », ajoute-t-elle.

Ce recul de l’âge au mariage favorise-t-il de nouveaux types d’unions ?

En effet, explique la sociologue Anne Calvès, « on a vu que le recul de l’âge au mariage dans différents pays africains s’est accompagné d’une augmentation du nombre de jeunes qui optent pour le concubinage ou qui optent pour vivre maritalement alors que leur union n’a pas été sanctionnée par une cérémonie coutumière, religieuse ou civile. »

Ce phénomène, dit-elle, inquiète d’ailleurs les autorités au point que dans certains pays, les gouvernements ont tenté de légiférer contre la montée du concubinage.

Elle cite en exemple le Cameroun où pour lutter contre les unions libres, qu’on surnomme les viens, on reste, le ministère de la promotion de la Femme et de la Famille avait mis sur pied depuis 2007 des mariages collectifs pour encourager les conjoints non mariés à officialiser leurs unions.

La même chose, révèle-t-elle, a été tentée au Kenya, où il y a eu d’âpres débats dans la presse en 2013, lorsqu’on a voulu tenter d’interdire la dot pour pousser les jeunes célibataires à se marier plutôt qu’à cohabiter.

« Donc, il y a un phénomène d’unions informelles qui augmentent, c’est clair mais ces unions informelles, et je finirais là-dessus, elles sont très diverses », dit-elle.

« Certaines ressemblent beaucoup à des mariages, elles sont des étapes dans le mariage : des enfants naissent au sein de ces unions ; elles sont connues au niveau des parents, elles ont un statut social. D’autres sont plus temporaires, ce sont des unions alternatives qui échappent au contrôle des familles, par exemple. »

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