Le rôle de la Cedeao dans la gestion des crises politiques et sécuritaires internes de ses États membres

Le rôle de la Cedeao dans la gestion des crises politiques et

sécuritaires internes de ses États membres

Le rôle de la Cedeao (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) dans la gestion des conflits ayant eu lieu à la fin du 20ème siècle et au début du 21ème siècle revêt une importance capitale. Dès sa création, l’organisation régionale représentait le symbole de l’avancement démocratique dans ses pays membres mais elle doit aujourd’hui faire face à un recul en termes de gouvernance démocratique et d’influence. Elle s’est imposée comme étant la plus avancée au niveau continental en termes d’instauration de la paix. Cependant, l’Afrique de l’Ouest a été marquée par un recul démocratique au cours des deux dernières années. Des dirigeants, leur mandat arrivant à échéance, ont pris des mesures les maintenant au pouvoir au-delà des délais légaux fixés par les constitutions de leurs pays respectifs. Face aux récentes crises politiques enregistrées dans la région, et devant l’impact sur la démocratie de plusieurs États, les instances de la Cedeao n’ont pas réussi à apporter de solutions à ces dérives dénotant ainsi une perte de pouvoir et d’influence de l’organisation régionale dans le maintien de la paix et de la sécurité.

Introduction

La relation entre l’Organisation de l’union africaine (Oua), aujourd’hui Union africaine (UA), et les Communautés économiques régionales (Cer) a considérablement évolué à travers le temps. Devant le manque d’effectivité de l’Architecture de paix et de sécurité sur le continent, les différents pays ont tenté de définir leurs propres cadres d’action face aux menaces. Lors de la mise en place de l’Oua en 1963, les différents ensembles régionaux sont d’ores et déjà constitués. En 1976, les premières tentatives de coopération entre les organisations régionales et l’organisation continentale sont lancées à travers l’instauration d’un découpage régional. Le continent africain est alors divisé en cinq grands groupes régionaux. Pour éviter les chevauchements institutionnels et les conflits entre la région et l’ensemble continental, l’Acte final de Lagos de 1980 tente de rationaliser les processus. En 1991, le Traité d’Abuja inaugure la Communauté économique africaine sur le modèle européen. Ainsi, l’intégration régionale est devenue dépendante de la coordination entre les Communautés économiques régionales. Quatorze organisations régionales et sous régionales bénéficient du statut de Communautés économiques régionales. Au fil du temps, les Cer ont été réduites jusqu’à n’être plus que 8 en 2006. Cependant, sur l’ensemble des pays africains, seulement 7 n’appartiennent qu’à une seule communauté régionale. Ce chevauchement va entrainer une certaine concurrence qui s’accentuera avec l’élargissement du mandat de ces mêmes communautés aux problématiques sécuritaires. Avec le début des différentes guerres sur le continent, à l’instar de celle ayant secoué le Libéria en 1989 ou encore la Somalie en 1990, et devant la menace d’une propagation de l’insécurité au-delà des frontières, les pays africains ont été mis à l’épreuve. Pour parer à ce danger, et devant l’inefficacité de l’Oua dans la gestion des conflits, les Cer ont peu à peu gagné en indépendance et décidé d’endosser le rôle de l’Oua. Elles s’émancipent donc du cadre mis en place par l’organisation continentale et prennent en main la gestion des tâches relatives à la sécurité et au développement. La prise de ces nouvelles responsabilités crée dès lors un flou sur la répartition des tâches entre l’Oua et les Cer qui en sont issues.

Lorsqu’elle remplace l’Oua en 2002, l’UA a pour ambition de se doter d’un système de sécurité collective à l’échelle continentale. Elle reprend de ce fait l’ensemble des objectifs instaurés par l’Oua tout en essayant de se positionner en acteur prioritaire de maintien de la paix sur le continent. C’est justement à cet effet qu’elle met en place l’Architecture africaine de paix et de sécurité (Apsa) qui permet de la doter de structures, de mécanismes ainsi que de procédures adaptés à la gestion des conflits et à l’instauration de la paix. Cependant, la difficulté de mettre en place ce modèle d’intégration régionale sur deux niveaux, à savoir régional et continental, principalement dans le domaine sécuritaire, oblige l’UA à reconnaitre aux Communautés régionales un rôle important dans sa structure. Dans la pratique, le manque de coordination entre les Cer et l’Union africaine constitue aujourd’hui le plus grand obstacle au bon fonctionnement des mécanismes dans la gestion des conflits. Il est indéniable que plusieurs avancées ont été réalisées dans le cadre de l’amélioration des relations entre l’UA et les Cer, dont à l’instar de l’ouverture de Bureaux de liaison de l’organisation continentale dans les différentes Communautés économiques régionales. Ces Bureaux doivent œuvrer pour fluidifier les échanges d’informations entre les deux. On peut affirmer que la relation entre l’UA et les Cer varie entre coopération etet compétition. D’une part, la multitude de textes et de mécanismes qui s’imposent dans la relation entre les deux entités en question impacte fortement la coopération entre ces dernières. Il existe un problème lié au principe de subsidiarité qui suggère que c’est l’entité supérieure qui a la charge de la prise de décision.

Cependant, les pays africains membres de l’UA se sont dotés d’une politique africaine commune de défense et de sécurité tout en demeurant régis par leurs intérêts nationaux. De plus, les Communautés économiques régionales interviennent sans pour autant faire preuve de coordination avec l’Union africaine. C’est justement ce qui accentue ce déficit de coordination et, donc, d’efficacité, et qui entraine un sentiment de défiance de l’UA à l’égard des Cer.
D’autre part, le chevauchement et la multiplication des structures politiques, diplomatiques mais également militaires, entravent la coopération entre les deux entités. Les Cer sont elles-mêmes dotées d’organes politiques endossant le même rôle que le Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union africaine. Ce deuxième obstacle entraîne une forte compétition du fait des prérogatives et des compétences de chacune des institutions.
L’autre entrave à la coopération réside dans la compétition générée par les dispositifs de sécurité propres à l’UA et aux Cer. Chaque Communauté régionale est chargée de mettre en place sa propre Force de défense. Devant le manque d’efficacité de ces dernières, l’Union africaine a créé un dispositif temporaire en attendant le déploiement de la Force africaine en attente (Faa). Cependant, cette Capacité africaine de réponse immédiate aux crises (Caric) ne prend par en compte les Cer dans sa prise de décision. C’est une nouvelle indication de la rivalité entre les Cer et l’UA.

LA RÉSOLUTION DES CONFLITS À SES DÉBUTS

Fondée en 1975 à Lagos par plusieurs chefs d’Etat, la Cedeao a pour vocation principale l’intégration des économies dans la région ouest-africaine. Créée initialement par 12 pays, elle compte aujourd’hui quinze États membres. Au vu de la nature des évènements politiques ainsi que du contexte sécuritaire régional menaçant la stabilité et la sécurité de l’ensemble de l’espace communautaire, la Cedeao s’est progressivement transformée en une organisation de gestion des crises politiques et des problématiques sécuritaires et de défense. Les crises politiques successives ainsi que les rivalités entre gouvernants dans la recherche du leadership régional ont démontré la nécessité de mettre en œuvre des politiques communes en matière de sécurité. C’est ainsi que la Cedeao a opéré une transformation, en passant d’une organisation à vocation économique à une organisation assurant aussi la gestion des problématiques politiques, en intervenant militairement et diplomatiquement. En 1991, la Déclaration des Principes politiques reconnait le lien entre la sécurité des populations, la stabilité politique et la réussite du développement économique. En 1993, la révision du traité de Cotonou réaffirme les objectifs d’intégration économique et de création d’une union monétaire et économique dans la région ouest- africaine tout en introduisant de nouvelles perspectives pour l’organisation. Ainsi, plusieurs conditions, comme la stabilité, la paix, la sécurité régionale ainsi que la coopération politique sont citées comme des prérequis nécessaires au bon développement économique. Selon le texte de Cotonou, « Les États membres s’engagent à œuvrer à la préservation et au renforcement des relations propices au maintien de la paix, de la stabilité et de la sécurité dans la région. A ces fins, les États membres s’engagent à coopérer avec la Communauté en vue de créer et de renforcer les mécanismes appropriés pour assurer la prévention et la résolution à temps des conflits inter et intra-États ».1

Au début des années 90, sous l’influence du Nigeria, le pays le plus puissant de l’organisation, la Cedeao intervient dans plusieurs conflits en cours dans la région. La dernière décennie du 20ème siècle a été marquée par des interventions de la Communauté régionale avec pour objectif de mettre fin à des conflits armés opposant gouvernement d’un État membre à un groupe armé rebelle. Ainsi, plusieurs milliers de soldats sont envoyés dans une tentative de faire taire les armes dans les guerres qui faisaient rage au Libéria et au Sierra Leone dans le cadre de l’Ecomog, bras armé de la Cedeao.2 La force d’intervention a été créée en 1990 par la Cedeao en réponse à la guerre civile qui a éclaté au Libéria.3 Elle y interviendra en 1999 et en 2003 avant de se déployer au Sierra Leone pour tenter d’apaiser la guerre civile déclenchée en 1991. Ce n’est qu’en 1999 que cette force a été institutionnalisée par le Protocole relatif au Mécanisme de prévention, de gestion et de règlement de conflits, de maintien de la paix et de la sécurité. Bien que les pays membres aient été confrontés à des difficultés, l’engagement de l’organisation régionale a joué un rôle important dans la résolution des conflits du bassin du fleuve Mano. L’Ecomog sera ensuite remplacée par la Force Africaine en attente (FAA) de la Cedeao composée de civils, policiers et militaires provenant des pays membres de l’organisation.

Au moment de sa création, la principale préoccupation de l’organisation consistait en la protection des présidents et des gouvernements des États memebres. L’aspect concernant le respect des normes démocratiques et des droits de l’homme ne représentait pas à cette époque une priorité pour les États membres. Avec l’avènement progressif de régimes démocratiques sur le continent au début des années 90, la Cedeao a pu élargir le champ de ses prérogatives.4 L’adoption, en 1999, du Protocole relatif au Mécanisme de prévention, de gestion, de règlement de conflits, de maintien de la paix et de la sécurité et, en 2001, du Protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance, ont doté la Cedeao des capacités de mettre en lien la défense de la stabilité des pays ainsi que la résolution des conflits et le modèle de gouvernance démocratique. Selon le premier Protocole, « La Conférence des chefs d’État et de gouvernement est la plus haute instance de décision dans le cadre des questions se rapportant à la prévention, à la gestion et au règlement des conflits, au maintien de la paix et de la sécurité, à l’assistance humanitaire, à la consolidation de la paix, à la lutte contre la criminalité transfrontalière et la prolifération des armes légères, ainsi que toutes les autres questions couvertes par les dispositions du Mécanisme ». Par la suite, la Conférence des chefs d’État et de gouvernement décide d’octroyer au Conseil de médiation et de sécurité (CMS) la possibilité de décider en son nom des mesures appropriées dans le cadre du Mécanisme. Ainsi, le Conseil a le pouvoir de proposer des politiques visant à prévenir et à aider à la gestion des conflits et du retour de la paix et de la sécurité. De ce fait, ledit Conseil approuve les interventions nécessaires et peut ordonner de déployer des moyens militaires ou politiques. Le Conseil se réunit à trois niveaux : entre chefs d’État, entre ministres et entre ambassadeurs des pays membres.

A travers le pouvoir que lui octroyaient les mécanismes adoptés, l’organisation régionale n’avait plus à seulement défendre des régimes et dirigeants en place mais disposait de la possibilité de contrer des prises de pouvoir illégitimes ou anticonstitutionnelles ou de veiller au respect des droits de l’homme dans ses États membres. Ce sont également ces outils qui permettent à l’organisation régionale de légitimer ses interventions dans les pays membres et d’intervenir dans les processus électoraux de certains d’entre eux en assurant leur bon déroulement.
Le rôle joué par la Cedeao dans les conflits ayant eu lieu à la fin du 20ème siècle et débordé sur le début du 21ème siècle est d’une grande importance. L’intervention de la Cer dans ces conflits et leur résolution précède l’adoption des bases institutionnelles et opérationnelles qui régissent ses missions en termes de paix et de sécurité puisque les protocoles et les mécanismes de l’organisation n’ont été adoptés que par la suite. La résurgence de plusieurs conflits, notamment en Côte d’Ivoire, en 2002, ou encore les élections marquées de tensions en Guinée Bissau, en 2005, ainsi que les problématiques politiques et sociales vécues en Guinée ont mis à l’épreuve les organes et les mécanismes de la Cedeao.5

La Communauté économique régionale a œuvré pour la résolution des différents conflits rappelés. Son rôle a été particulièrement marquant au Libéria qui a enregsitré deux longues guerres civiles en 1990 et en 2003 ainsi qu’au Sierra Leone, ayant fait l’expérience d’une guerre de presque une décennie, qui avait entrainé un effet de contagion en Guinée voisine. Au Libéria, en 1990, la Cedeao, voulant éviter l’installation d’une instabilité régionale, a déployé près de trois mille hommes dans le pays. L’organisation se déploie aussi à la promotion d’un gouvernement démocratique. En 2003, Charles Taylor, alors président du Libéria, accusé d’avoir commis des crimes de guerre menaçant la paix instaurée dans le pays, est poussé vers la sortie. Celui-ci cède le pouvoir, après plusieurs mois de bras de fer, à un dirigeant intérimaire, sous le contrôle de la Cedeao.
Ces différents conflits, ayant d’ailleurs eu lieu au même moment, faisaient planer la possibilité d’un effet de contagion majeur dans l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest et d’entrainer de ce fait une instabilité et une insécurité régionales. C’est dans cette optique que la Cedeao a entrepris d’intervenir sur plusieurs terrains. A travers les organes de médiation dont elle s’est dotée, la Cer est intervenue sur le plan diplomatique en faisant appel à des dirigeants de ses États membres ainsi qu’à des membres des différents gouvernements. Sur le plan militaire, l’organisation a fait appel à l’Ecomog et décidé de mobiliser des milliers de soldats, force qui était composée principalement d’éléments nigérians formés dans les rangs de l’armée de ce dernier. Bien que l’intervention et la présence de la force militaire aient été mitigées dans ces deux pays, pour cause de parti pris, elles ont néanmoins contribué à la stabilisation de la région du bassin du fleuve Mano avant l’arrivée des Casques bleus des Nations unies.

La crise ivoirienne a mis l’organisation à rude épreuve. Alors que le pays était considéré comme l’un des plus stables du continent, il allait connaitre un coup d’État en 1999.6 À la suite de ce coup d’État, des élections présidentielles seront organisées mais dont les résultats mènent le pays à une guerre civile en raison de la forte contestation des résultats du scrutin. Résultat : le pays se divise en deux, le Nord et le Sud. La Cedeao intervient alors en endossant le double rôle de médiateur et d’accompagnateur du processus électoral. Elle tente de préserver les institutions de l’État au tout début de la guerre. En 2007, à l’issue de négociations entre l’organisation régionale, l’Union africaine ainsi que la France et l’Afrique du Sud, Guillaume Soro devient premier ministre de la Côte d’Ivoire. En 2010, des élections présidentielles, remportées par Alassane Ouattara, sont organisées sous le contrôle de la Cedeao et de plusieurs organisations internationales. Malgré quelques désaccords entre l’organisation régionale et l’Union africaine, les résultats des élections sont finalement confirmés par les deux entités. Bien que la victoire de Ouattara ait été largement admise, le président alors au pouvoir, Laurent Gbagbo, refuse de céder le pouvoir. Ce à quoi la Cedeao répond lors d’une séance extraordinaire que ce dernier serait contraint de transmettre le pouvoir au risque de voir l’organisation faire usage de la force pour faire respecter le processus démocratique. Gbagbo sera finalement arrêté et emprisonné par les forces d’Alassane Ouattara avec l’aide de la France. Dans ce cas particulier, une intervention militaire de la Cedeao aurait comporté des risques. Au-delà de la contestation nationale que cela aurait pu provoquer, plusieurs pays membres de l’organisation s’opposaient à une intervention de nature militaire. La coopération entre plusieurs organisations ainsi que les liens créés entre la Cedeao, l’Union africaine et les Nations unies, ont été des facteurs qui ont contribué à la résolution de ces conflits.

Au Niger, alors que le président Mamadou Tandja voyait son second mandat arriver à terme, celui-ci a cédé à la tentation de s’octroyer un mandat supplémentaire moyennant une modification de la constitution. Pour ce faire, il procède à l’organisation d’un référendum constitutionnel suivi par des élections présidentielles très contestées dans le pays. Dans ce cas, et à la différence d’autres qui seront développés plus en avant, la Cedeao refuse formellement de reconnaitre la légitimité de l’élection présidentielle ainsi que celle de Tandja.7
En 2012, lorsque le Mali connait un coup d’État militaire, les dirigeants du Bénin, du Libéria, du Niger, du Burkina Faso et de la Côte d’Ivoire refusent de reconnaitre la légitimité du pouvoir des putchistes. De plus, dans le cadre de l’organisation régionale, ces dirigeants ont entrepris une série de sanctions et de mesures visant à pénaliser les initiateurs du coup d’État. Dans sa réaction face à un coup d’Etat, la Cedeao s’appuie sur ses Protocoles qui l’autorisent à condamner tout acte de dérive démocratique.
En décembre 2016, la Cedeao est intervenue en Gambie à travers l’opération « Restore Democracy » suivant la volonté de dirigeants politiques.8 Ainsi, les présidents en exercice du Ghana, Nana Akufo-Addo, du Sénégal, Macky Sall, et Ellen Johnson Sirleaf, du Libéria, ont élaboré un accord dans le cadre de la Cedeao dans l’optique de pousser Yahya Jammeh à démissionner . Le manque de coopération de ce dernier, malgré les incitations de ses homologues ouest-africains, a poussé la Cedeao à expulser Yahya Jammeh de ses instances. L’organisation a également menacé le président d’organiser une opération militaire dans le pays. Yahya Jammeh finit par céder le pouvoir et s’exiler.
Si la Cedeao a réussi à s’imposer à de nombreuses reprises comme un acteur influent dans plusieurs crises politiques, il n’en demeure pas moins que l’organisation fait face de nos jours à de sérieuses difficultés, dont l’absence de réaction de l’organisation face à plusieurs dérives.

PERTE D’INFLUENCE

La Cedeao a dès sa création représenté le symbole de l’avancement démocratique dans ses pays membres mais, aujourd’hui, elle doit faire face à un recul en termes d’influence. L’organisation régionale s’est imposée comme étant la plus avancée au niveau continental en matière d’instauration de la paix. L’Afrique de l’Ouest a été marquée par un recul de la démocratie depuis 2019. Plusieurs dirigeants se sont empressés, à la fin de leurs mandats , de prendre des mesures les maintenant au pouvoir au-delà des délais fixés par les constitutions de leurs pays.
Dans les récentes crises politiques vécues par des pays de l’Afrique de l’Ouest, les instances de la Cedeao n’ont pas réussi à prendre des initiatives effectives.9Cela a remis en cause la crédibilité et l’efficacité de l’organisation régionale. La place qu’occupent au sein de l’organisation des pays comme le Nigeria, le Ghana ou encore la Côte d’Ivoire, leur passivité face aux dérives démocratiques chez leurs voisins ou même dans leur propre pays, comme c’est le cas pour la Côte d’Ivoire, peuvent expliquer le recul d’influence de la Cedeao. Au Nigeria, qui a su prouver sa puissance au sein de l’organisation régionale dans la résolution des crises de la fin du 20ème siècle, les préoccupations nationales en matière de sécurité, de politique et d’économie, ont poussé Muhammadu Buhari à se concentrer davantage sur les problématiques internes au détriment des défis ouest-africains.

Réputé comme étant l’un des pays les plus développés du continent sur le plan démocratique depuis les années 90, le Bénin a accusé un recul important ces dernières années. En avril 2019, la majorité des partis de l’opposition décident de boycotter les élections législatives. Ils dénonçaient un système politique anti-démocratique et répressif. Les élections se tiennent alors avec la participation de seulement deux partis proches du gouvernement de Patrice Talon. Le taux de participation aux élections est de 27 % dans un contexte politique extrêmement tendu. La Cedeao n’intervient à aucun moment dans le processus politique malgré le recul démocratique, consécutif aux élections et manœuvres ayant entrainé la victoire des partis de Patrice Talon.10
En Guinée Conakry, le retour de la démocratie en 2010 a insufflé un nouvel espoir en la personne d’Alpha Condé. Après deux mandats, contestés, mais tout de même considérés comme légitimes par la communauté internationale, le président sortant décide de tout mettre en œuvre pour se maintenir au pouvoir.

En mars 2020, après des mois de crise politique due aux manifestations de l’opposition, le manque d’intervention effective de la Cedeao ainsi que de l’Union africaine permet à Alpha Condé d’organiser les élections législatives et le référendum en vue d’adopter une réforme constitutionnelle. L’organisation régionale a dépêché une mission d’experts à Conakry pour vérifier la fiabilité du fichier électoral devant servir pour le double scrutin. Ces derniers ont recommandé le retrait de 2,5 millions de personnes des listes électorales pour l’organisation d’élections transparentes mais ces modifications ne seront pas implémentées par le gouvernement. Bien qu’il ait été boycotté par une large frange des électeurs, le double scrutin ouvre la voie pour une nouvelle constitution qui permet au président sortant de se présenter pour un troisième mandat. Les observateurs, internationaux et régionaux, ont d’ailleurs manqué à l’appel lors de ces deux scrutins en raison du refus du gouvernement guinéen prétextant la crise sanitaire. En octobre 2020, après une révision du fichier électoral, les élections présidentielles, boycottées par la plupart des acteurs politiques, sont maintenues . Le 18 octobre 2020, Alpha Condé remporte les élections présidentielles à la majorité des voix dès le premier tour.

Bien que les résultats aient été contestés par les partis de l’opposition, la Cedeao et l’Union africaine se disent satisfaites du processus électoral. Devant la passivité des organisations régionales face à la crise politique qui sévit en Guinée depuis plusieurs mois, le pays dérive. Le 5 septembre 2021, moins d’un an après avoir entamé son troisième mandat, Alpha Condé est renversé par un coup d’État militaire. Perpétré par le colonel Mamady Doumbouya, le coup d’État aurait pu être anticipé à bien des égards. Dès lors, un bras de fer marque les rapports entre la junte au pouvoir et la Cedeao. Cette dernière condamne le coup d’État tandis que la junte militaire reproche à l’organisation régionale son manque de réactivité tout au long des deux dernières années. La Cedeao prend alors une série de sanctions à l’encontre de la junte et exclut la Guinée de ses instances. Elle fixe également la durée de la transition à un maximum de six mois, ce que les militaires rejettent fermement.

Après des mois d’incertitude ainsi que plusieurs ultimatums posés par la Cedeao, le Conseil national de transition guinéen annonce une transition de 39 mois malgré les délais courts fixés par l’organisation régionale. De plus, que ce soit au sein de la population ou dans les rangs du pouvoir, les réactions hostiles à la Cedeao se radicalisent de plus en plus. Dans le cas particulier de la Guinée, la Cedeao n’a pas eu de réaction tranchante comme elle a pu le faire par le passé. Que ce soit lors des manœuvres entreprises par le président déchu ou à la suite du coup d’État ayant renversé ce dernier, l’organisation régionale n’a pas souhaité intervenir, à l’exception de quelques interventions sur le terrain, toujours en concertation avec le pouvoir en place, ou de sanctions de forme.
Tout comme en Guinée, la Cedeao se fera décrier pour son positionnement face à l’entêtement du président togolais Faure Gnassingbé de se maintenir au pouvoir malgré l’arrivée à échéance de son dernier mandat.

En juillet 2018, et dans le cadre des élections législatives à venir, la Cedeao décide d’adopter une série de réformes à l’intention du Togo. La feuille de route faisait mention de la formation d’une Commission électorale nationale indépendante ainsi que d’une réforme totale du fichier électoral pour la tenue des élections. Cependant, le gouvernement rejette l’ensemble des propositions de réformes et organise tout de même les élections législatives. Face à la réaction du pouvoir en place, l’organisation régionale n’impose aucune sanction et permet de ce fait à Gnassingbé de mener à bien les législatives sans l’implémentation des réformes. A l’issue des élections, la Cedeao applaudit la transparence du processus électoral et le bon déroulement des élections. En 2020, le Togo organise des élections présidentielles. Celles-ci seront remportées dès le premier tour par le président Faure Gnassingbé pour un quatrième mandat consécutif.

CONCLUSION

Le déficit d’action de la Cedeao face au recul démocratique dans plusieurs de ses pays membres est d’autant plus étonnant que l’organisation régionale avait acquis la réputation de leader dans la défense des valeurs démocratiques. En 2017, quatorze (14) des États membres de la Cedeao étaient considérés comme démocratiques.
La perte de crédibilité de l’organisation régionale réside essentiellement dans le fait que plusieurs gouvernants, ayant fait dévier leur pays de la voie démocratique, continuaient à siéger dans les instances de la Cedeao. De la même façon, la Cedeao ne peut gagner le respect des populations et s’ériger en tant que structure démocratique et pourvoyeuse de progrès social sans être représentée par des dirigeants prônant les idées démocratiques et la liberté.
Si l’organisation régionale affirme avoir opéré une transition vers une Cedeao des peuples au cours des dernières années, le sentiment général au sein des populations ouest- africaines demeure en décalage face à cette perception. Pour plusieurs citoyens d’Afrique de l’Ouest, la Cedeao est plus une organisation de chefs d’État qu’une représentation des peuples.11 C’est ce qui explique que bien qu’un coup d’État n’apporte jamais une réponse effective à un malaise ou à une crise politique, il est appuyé par une grande partie de la population.12 Face à des gouvernants, impopulaires, s’accrochant au pouvoir malgré la fin de leurs mandats, les juntes militaires à l’origine des putschs se transforment dans l’esprit des populations en sauveurs ou du moins en potentiels moteurs de changement.13 Cette tendance met la Commission de la Cedeao dans l’embarras. C’est pourquoi l’organisation régionale doit davantage se ranger du côté des revendications populaires. Cependant, pour que cette réforme soit envisageable, la nature des dirigeants à la tête de l’organisation doit impérativement suivre la même trajectoire. Ces derniers doivent eux-mêmes œuvrer pour faire respecter les aspirations démocratiques de leurs peuples.
Le manque d’effectivité de la Cedeao dans les dernières crises politiques qui ont touché la région ouest-africaine a ouvert la voie à davantage d’ambitions autoritaires. La succession des coups d’État ainsi que le recul démocratique qui en découle en est la preuve. Les acquis en matière de démocratie et de sécurité depuis le début de la vague de démocratisation dans les années 90 semblent être aujourd’hui compromis. A la lumière des nouvelles évolutions politiques et sécuritaires, l’insécurité régionale devient une préoccupation importante pour les pays d’Afrique de l’Ouest.

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