« Cette tragédie, elle n’est pas seulement personnelle, elle est collective »

« Cette tragédie, elle n’est pas seulement personnelle, elle est

collective »

Dans la nuit du jeudi 26 au vendredi 27 septembre 2002, se produisait dans les eaux territoriales gambiennes, la plus grande tragédie de l’histoire maritime en Afrique. Le bateau Le Joola avait chaviré, faisant plus de 1800 victimes. Vingt ans plus tard, la douleur persiste dans les témoignages des rescapés et des familles des victimes.

Quand le jeudi 26 septembre 2002, le bateau Le Joola quittait le port de Ziguinchor, aucun passager, ni membre de l’équipage à bord, ne pouvait imaginer que c’était le dernier voyage du navire.

En effet, dans la nuit du jeudi au vendredi 27 septembre, Le Joola sombrait dans les flots avec plus de 1800 personnes, dont 444 enfants. C’était le naufrage le plus meurtrier de l’histoire de l’Afrique.

En quittant Karabane, à quelques encablures de l’embouchure du fleuve Casamance, avec près de 2000 passagers et des tonnes de marchandises à bord, Le Joola se faisait déjà malmener par les vagues et le vent.

Arrivé dans les eaux territoriales gambiennes, avec beaucoup de difficultés, selon les témoignages des rescapés, le bateau qui tanguait dangereusement, alors qu’il pleuvait, avait fini par se renverser.

L’accident qui est survenu dans la nuit, au moment où il pleuvait, ne donnait aucune chance aux nombreux passagers à bord, coincés au fond de l’eau.

Mais malgré tout, au moins 64 personnes, dont une seule femme, étaient recensées comme étant les seuls rescapés du drame du bateau Le Joola, le « Titanic africain ».

Lamine Coly est de ceux-là. Il avait voyagé avec un de ses cousins du nom de Michel Djiba qui était venu le prendre chez lui pour un travail à Dakar.

Il est le seul survivant parmi les 35 personnes de son village qui étaient montées à bord du bateau pour rallier Dakar, la capitale du Sénégal.

« Quand on est arrivé à Carabane, si bien que le bateau était déjà plein au moment de quitter Ziguinchor, ils avaient continué à charger des passagers et des bagages », raconte Lamine Coly.

« La pluie tombait à un certain moment. C’est en ce moment qu’ils nous avaient demandé de descendre à l’intérieur. Le bateau était tellement plein qu’il n’y avait aucun moyen de se mouvoir », indique M. Coly.

« Quand je me suis retournée, j’avais vu la natte en train de glisser vers moi avec les personnes qui y étaient assises. Je n’avais pas compris. Comme je n’avais jamais voyagé à bord du bateau, j’estimais que c’était normal », explique Mariama Diouf.

« C’est aussitôt que les lumières s’étaient éteintes une première, puis une deuxième fois. A la troisième fois, nous étions dans l’obscurité totale », dit Lamine Coly.

« Je n’avais nulle part où m’accrocher dans l’obscurité. C’est en ce moment que j’ai senti mes pieds en train de glisser. J’ai essayé de retenir un enfant qui était avec sa maman près de moi », explique Mariama Diouf.

« J’avais pensé que c’était le moment de la fin, que c’est là où je devais mourir avec ma grossesse, que c’était ce que Dieu avait décidé. J’étais enceinte de quatre mois », dit-elle avec tristesse.

« Quand je suis arrivé dehors, les cris raisonnaient de partout. Je ne pouvais pas imaginer que le bateau, vu sa dimension, pouvait chavirer. C’est quand j’ai vu l’eau que je suis convaincu que le bateau était bien dans les flots », raconte Lamine Coly.

« La confusion totale. Tu ne pouvais pas savoir qui sauver. C’était un moment de panique. Pendant tout ce temps, les cris continuaient. Des gens qui sortaient étaient emportés par les vagues. Tu voyais les gens mourir devant toi », souligne Lamine Coly.

« Quand j’ai senti que ma tête était un peu plus légère, j’ai compris que j’émergeais de l’eau. Dieu sait que j’ai été sauvée grâce à sa puissance », fait-elle, les larmes coulant sur le visage.

« C’étaient des moments inoubliables », se rappelle Lamine Coly.

Après une longue lutte, Lamine Coly avait réussi à monter sur la coque du navire renversé. Il était le premier.

« Alors je me suis éloigné et je suis revenu avec la vague pour m’accrocher au hublot », dit-il.

Parmi les survivants, figure Mariama Diouf, la seule femme rescapée du naufrage. Elle sait nager depuis l’âge de sept ans.

« C’est en ce moment que la brave dame Mariama Diouf est arrivée. Elle est la dernière à monter sur la coque du bateau. Elle s’était accrochée à un bidon.

« Les vagues me repoussaient. J’ai alors demandé qu’on m’aide. Un homme avait signalé que c’est une femme qui parlait. Les autres lui avaient dit que ce n’était pas possible. J’avais alors répondu que si », témoigne Mariama Diouf.

« Il était 4h du matin. Et on entendait encore les cris des autres dans le bateau. Il y avait un blanc rescapé dont la femme était restée à l’intérieur. Il tapait avec sa bague sur la coque du bateau. On lui avait dit d’arrêter mais il avait souligné que cela pouvait redonner espoir à ceux qui étaient dedans. Ils comprendront qu’on entend de l’extérieur », poursuit Mariama Diouf.

« A 7h, quand on quittait les lieux, on n’entendait plus les cris », regrette Mariama Diouf.

L’américain Pat Wiley a passé une décennie à enquêter sur la tragédie du Joola. Il a publié ses conclusions dans son livre, « The sinking of MV Le Joola : Africa’s Titanic » (Le naufrage du MV Le Joola : le Titanic de l’Afrique), en 2013.

Selon lui, le bateau a été non seulement surchargé, mais son état technique ne lui permettait pas de reprendre la mer dans ces conditions.

Les activités du bateau avaient été interrompues entre septembre 2001 et septembre 2002 à cause de problèmes mécaniques. Il avait repris la mer seulement deux semaines avant le drame.

Pat a aussi souligné qu’il n’y avait pas de gilets de sauvetage, ni de canots opérationnels à cet effet.

Les secours sont arrivés très en retard. Ce n’est que le lendemain vendredi à 7h45 que le naufrage a été confirmé et les premiers secours ne sont arrivés que quatre heures plus tard, c’est-à-dire aux environs de 11h.

Mais pourquoi y avait-il autant de retard dans le déclenchement des alertes et des secours ?

La question n’a pas trouvé jusqu’ici de réponse.

Les rescapés et les familles des victimes donnent leur réponse.

« Il n’y a pas eu de secours ! On a secouru personne. On n’a pas organisé des secours », explique Elie Diatta, dont le grand frère Michel Diatta a péri dans le naufrage.

« Le gouvernement a su par la suite que c’était par négligence », souligne Sylvie Diatta qui a perdu son père dans l’accident.

« Nous avons duré dans l’eau sans secours. Si nous avions été très tôt secourus, il n’y aurait pas eu autant de morts. Mais nous avons trop duré sur place », regrette Mariama Diouf, la seule femme rescapée du naufrage.

Elle salue cepandant l’engagement de la Marine gambienne qui les a recueillis.

« La marine gambienne nous a accompagné jusqu’à l’entrée du port avant de rentrer, mais nous n’avons pas vu la marine sénégalaise. Franchement », témoigne Mariama Diouf.

« Au total, 22 personnes d’entre nous ont été secourues par les pêcheurs », rappelle Mariama Diouf.

« Nous étions mélangés dans l’eau. Il y avait des morts et des personnes qui agonisaient », dit-elle.

Autorisé à transporter 550 personnes, le Joola avait à son bord 1 927 passagers, selon les chiffres officiels.

Quand il a chaviré, avec seulement 64 personnes qui ont survécu, il devenait la plus grande catastrophe de l’histoire maritime.

Car il aurait fait plus de victimes que le Titanic qui avait chaviré en 1912.

Dans les jours qui ont suivi la tragédie, les corps étaient repêchés partout, de la Gambie au Sénégal.

Venu pêcher le matin à Gunjur, une ville côtière à l’ouest de la Gambie, Boubakar Kamara avait vu quelque chose flotter à quelques mètres du rivage, vers 10h.

« J’ai décidé de ranger mon filet à côté pour me jeter à l’eau. Ma première tentative d’attendre l’objet flottant était sans succès », se rappelle le pêcheur.

« Dans ma seconde tentative que j’ai réalisé que c’était un cadavre humain », dit-il.

C’était le premier cadavre d’une longue série de corps sans vie qui seront repêchés sur la rive.

« Il n’était pas le seul. D’autres corps avaient continué à accoster sur le rivage », raconte-t-il.

« C’est alors que j’ai fait appeler le responsable de notre association de pêcheurs », poursuit-il.

« Sur le chemin de la plage, j’ai rencontré un responsable du service des pêches qui m’a demandé si je pouvais mobiliser nos pirogues pour les secours des rescapés parce qu’il avait appris que le bateau Le Joola avait chaviré », témoigne Elimane Sarr, le président de l’association des pêcheurs de Gunjur.

« Dans les trois jours qui ont suivi, j’étais assis là en train de superviser le repêchage et l’acheminement des corps pour leur enterrement », raconte Elimane Sarr.

« Douze corps ont été repêchés de suite. Les villageois étaient venus ramasser les corps qui arrivaient pour les enterrer de suite », affirme-t-il.

« C’était devenu une routine. On faisait la navette entre la plage et le cimetière jusqu’au soir pour rentrer chez nous », fait-il.

« Un autre jour, Karamoko me dit de regarder quelque chose qui flottait vers nous. Quand j’ai regardé, c’était une femme qui portait encore son bébé sur le dos. J’ai pleuré », explique Boubakar Kamara.

Au cimetière de Bassori où sont enterrés les naufragés près de Gunjur, le sénégalais Mamadou Mbengue, originaire de Dara Djolof, y va assez souvent.

Ayant participé au repêchage des cadavres, il avait reconnu un de ses parents.

« La Gambie avait mobilisé son armée pour recueillir les corps de la mer. Nous avons participé à l’effort. Ils nous avaient remis des masques et nous avaient prévenus du choc de ce que nous allions voir », indique-t-il.

« C’est seulement par les cheveux qu’on pouvait reconnaitre les blancs des noirs parce que la personne est gonflée en arrivant, la peau blanchie par le sel », dit-il.

« Il y a une personne qui est là, un certain Momar Ndiaye , qui était mon neveu, quand on a verifié son identité lorsqu’il est arrivé à la plage, j’avais dis aux gens que je le connaissais, que c’était mon parent », se rappelle Mamadou Mbengue.

« C’est quand je suis rentré le soir que j’ai téléphoné à la maison, à Mboynane, pour annoncer au parents que Momar avait péri dans le naufrage », renchérit-il.

« Quand j’y pense, c’est des moments terribles que je passe, ça me pèse lourd dans le coeur », dit-il.

Selon Elimane Sarr, le président de l’association des pêcheurs de Gunjur, les corps continuaient d’être recueillis en haute mer par les pêcheurs.

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